Publié le 15 mars 2024

L’incorporation n’est pas un bouclier absolu pour votre patrimoine personnel ; plusieurs « portes dérobées » légales permettent aux créanciers de vous atteindre directement.

  • Les dettes statutaires, comme les retenues à la source (DAS) et la TPS/TVH, sont considérées comme une fiducie. Ne pas les remettre expose votre patrimoine à une saisie par l’ARC.
  • La responsabilité environnementale et les salaires impayés sont d’autres exceptions majeures où le voile corporatif est systématiquement percé.

Recommandation : La seule protection efficace réside dans une vigilance procédurale stricte et une connaissance précise de ces mécanismes de responsabilité directe, bien au-delà d’une simple assurance.

Vous avez signé les papiers d’incorporation. Un soupir de soulagement. Vous croyez votre maison, vos REER, votre patrimoine familial, sanctuarisés derrière ce que l’on appelle le « voile corporatif ». C’est la promesse fondamentale de la société par actions : une séparation nette entre les actifs de l’entreprise et les vôtres. En théorie, si l’entreprise échoue, vos biens personnels sont intouchables. C’est une croyance partagée par la majorité des entrepreneurs et des membres de conseils d’administration au Canada.

On vous a sans doute parlé de votre devoir de « diligence raisonnable », peut-être même de souscrire une assurance responsabilité des administrateurs et dirigeants (D&O). Des termes rassurants, mais qui masquent une réalité juridique beaucoup plus tranchante. Ces protections sont souvent poreuses, voire inutiles, face aux menaces les plus concrètes. Le véritable danger ne vient pas toujours d’une poursuite d’un actionnaire mécontent, mais de créanciers silencieux et puissants qui détiennent des clés pour ouvrir une brèche dans votre bouclier corporatif.

Et si la menace principale ne venait pas d’une faute de gestion classique, mais de « portes dérobées » légales, méconnues, que le fisc et d’autres instances peuvent emprunter pour atteindre directement vos comptes en banque ? Cet article n’est pas une simple liste de vos devoirs légaux. C’est une carte de ces passages secrets, une exploration des scénarios précis où le voile se déchire et où votre patrimoine personnel est directement exposé. En tant qu’avocat spécialisé dans la protection d’actifs, mon objectif est de vous armer non pas d’illusions, mais de connaissances précises pour identifier et sceller ces failles avant qu’il ne soit trop tard.

Nous allons décortiquer ensemble les mécanismes qui permettent aux dettes de l’entreprise de devenir les vôtres, des impôts non remis à la pollution d’un terrain, en passant par les salaires de vos employés. Comprendre ces risques est la première et la plus cruciale des étapes pour bâtir une forteresse efficace autour de ce que vous avez mis toute une vie à construire.

Fiducie présumée : pourquoi l’ARC peut saisir votre compte personnel pour les impôts non payés des employés ?

C’est sans doute le risque le plus direct et le plus mal compris par les administrateurs. Lorsque votre entreprise perçoit les déductions à la source (DAS) sur le salaire de vos employés, ou la TPS/TVH sur ses ventes, cet argent ne lui appartient pas. La loi stipule que ces montants sont détenus « en fiducie » pour le gouvernement. Vous n’êtes qu’un agent de perception, un simple gardien temporaire de ces fonds. Le concept de fiducie présumée signifie que, dès leur perception, ces sommes sont légalement la propriété de la Couronne.

Si l’entreprise connaît des difficultés de liquidités, la tentation est grande d’utiliser ces fonds pour payer des fournisseurs ou couvrir d’autres dépenses urgentes, en se disant qu’on régularisera la situation plus tard. C’est une erreur potentiellement catastrophique. En ne remettant pas ces sommes, vous ne créez pas une simple dette d’entreprise ; vous êtes perçu comme ayant manqué à votre devoir de gardien. En conséquence, les lois fiscales canadiennes stipulent que les administrateurs sont 100% solidairement responsables de ces montants, incluant les pénalités et les intérêts.

Étude de cas : l’affaire Colitto c. Canada et la responsabilité à retardement

Dans cette affaire, une société n’a pas remis ses déductions à la source en 2008. Ce n’est qu’en 2011, soit trois ans plus tard, que l’Agence du revenu du Canada (ARC) a émis un avis de cotisation personnel à l’un des administrateurs. Ce cas illustre un point crucial : l’ARC peut agir bien après les faits, et la responsabilité de l’administrateur peut être engagée rétroactivement pour des manquements survenus des années auparavant.

L’ARC dispose alors de pouvoirs de recouvrement redoutables, pouvant aller jusqu’à la saisie de vos comptes bancaires personnels, de vos placements ou même l’enregistrement d’une hypothèque légale sur votre résidence. La défense de « diligence raisonnable » est possible, mais difficile à prouver. Il faut démontrer avoir pris des mesures concrètes et actives pour prévenir le défaut de paiement, ce qui est souvent ardu en période de crise.

Pollution de terrain : êtes-vous personnellement responsable du nettoyage si la compagnie ferme ?

La responsabilité environnementale est une autre « porte dérobée » majeure qui peut anéantir votre patrimoine personnel. Les lois environnementales, tant au niveau fédéral que provincial au Canada, sont particulièrement sévères et visent à garantir que les pollueurs paient pour la décontamination, même si l’entreprise responsable a cessé ses activités ou a fait faillite. Le principe du « pollueur-payeur » s’étend explicitement aux administrateurs et dirigeants qui contrôlaient l’entreprise au moment de la contamination ou qui n’ont pas agi pour l’empêcher.

Ce risque est particulièrement aigu pour les entreprises des secteurs industriel, manufacturier, agricole ou immobilier. Si votre société a exploité un site qui est ensuite jugé contaminé (par des hydrocarbures, des métaux lourds, des produits chimiques, etc.), le ministère de l’Environnement peut émettre une ordonnance de nettoyage. Si la société est insolvable, cette ordonnance peut vous être adressée personnellement. Les coûts de décontamination peuvent être astronomiques, dépassant de loin la valeur de l’entreprise elle-même. Un exemple tristement célèbre est l’affaire Reliance à Pointe-Claire, au Québec, où le coût de nettoyage imposé a atteint 3,8 millions de dollars.

Site industriel abandonné avec barils et équipements rouillés dans un environnement naturel

Le cas de Mme Birdie Marshall, administratrice de cette compagnie, est un avertissement brutal. Le Ministre a inscrit un avis d’hypothèque légale directement sur sa résidence personnelle pour garantir le paiement des frais de décontamination. Cela démontre que la responsabilité environnementale n’est pas une menace abstraite ; elle peut se matérialiser par un droit de saisie sur votre maison. Contrairement à d’autres dettes, cette responsabilité survit à la faillite de l’entreprise, vous laissant seul face à une facture potentiellement colossale.

Assurance administrateurs et dirigeants : que couvre-t-elle vraiment en cas de faillite ?

Beaucoup d’administrateurs voient l’assurance responsabilité des administrateurs et dirigeants (communément appelée D&O) comme une solution miracle, un gilet de sauvetage qui les protégera de toutes les tempêtes financières. La réalité est bien plus nuancée. Si cette assurance est un outil de gestion des risques essentiel, elle est loin d’être un bouclier infaillible, surtout face aux risques les plus courants qui menacent votre patrimoine personnel.

Il est crucial de comprendre la distinction fondamentale que font ces polices entre la responsabilité civile et la responsabilité statutaire. La responsabilité civile découle généralement de poursuites d’actionnaires, de concurrents ou de clients pour des fautes de gestion, des déclarations trompeuses ou des négligences. La plupart des polices D&O sont conçues pour couvrir les frais de défense et les indemnités liées à ce type de réclamations. Cependant, les dettes les plus dangereuses pour votre patrimoine personnel – les retenues à la source (DAS), la TPS/TVH, les salaires et la responsabilité environnementale – relèvent de la responsabilité statutaire. Elles découlent directement d’une loi.

Or, de nombreuses polices D&O de base contiennent des exclusions spécifiques pour ces responsabilités statutaires. Elles considèrent que le non-paiement des impôts ou des salaires est une obligation légale fondamentale et non un risque assurable. L’assurance ne vous sauvera donc pas si l’ARC vient frapper à votre porte pour des DAS impayées. Pour qu’une police D&O offre une protection réelle, elle doit être négociée avec soin. Voici les points critiques à vérifier ou à exiger :

  • Couverture subséquente (run-off) : Négocier une couverture qui se prolonge de 2 à 6 ans après votre départ ou la fermeture de l’entreprise, car les réclamations peuvent survenir bien plus tard.
  • Obligation de défendre : S’assurer que l’assureur doit payer les frais d’avocat dès le premier jour (« duty to defend »), plutôt que de simplement vous rembourser après coup (« indemnify »).
  • Exclusions minimales : Limiter au maximum les exclusions pour responsabilité statutaire.
  • Frais d’enquête : Inclure une couverture pour les frais liés aux enquêtes réglementaires, même avant qu’une poursuite ne soit officiellement déposée.
  • Formule de paiement : Préférer une formule qui engage l’assureur à payer directement les frais (« pay on behalf »), ce qui évite d’avoir à avancer des sommes considérables.

Faillite : jusqu’à quel montant êtes-vous garant des salaires et vacances de vos employés ?

Au-delà des dettes fiscales, la responsabilité pour les salaires et les avantages sociaux des employés est une autre faille majeure dans le voile corporatif. Lorsque l’entreprise devient insolvable, les administrateurs peuvent être tenus personnellement responsables des sommes dues aux employés. Cette responsabilité est encadrée par diverses lois, tant fédérales que provinciales, et il est essentiel de comprendre ses limites.

En vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA), les administrateurs sont solidairement responsables du paiement de jusqu’à 6 mois de salaire impayés à chaque employé. Cette responsabilité s’applique à tous les services rendus pendant que vous étiez administrateur. Il est important de noter que cette obligation n’est pas illimitée dans le temps ; les employés doivent intenter une action en justice dans un délai précis après la cessation de leur emploi. Les lois provinciales sur les normes du travail peuvent également imposer des responsabilités similaires, parfois même plus étendues, notamment en ce qui concerne les indemnités de vacances accumulées, qui peuvent aller jusqu’à 12 mois.

Le tableau suivant résume les principales responsabilités personnelles de l’administrateur en cas de faillite de l’entreprise.

Responsabilité des administrateurs pour les dettes de l’entreprise au Canada
Type de dette Montant de responsabilité Loi applicable
Salaires impayés Jusqu’à 6 mois LCSA
Indemnités de vacances Jusqu’à 12 mois Lois provinciales
Retenues à la source (DAS) 100% + intérêts et pénalités Loi de l’impôt sur le revenu
TPS/TVH non remise 100% + intérêts et pénalités Loi sur la taxe d’accise

Une nuance importante existe avec le Programme de protection des salariés (PPS) du gouvernement fédéral. En cas de faillite ou de mise sous séquestre de l’employeur, ce programme indemnise directement les employés pour une partie de leurs salaires, vacances et indemnités de départ impayés. Cela a pour effet de réduire d’autant l’exposition directe des administrateurs. Cependant, la responsabilité personnelle de l’administrateur persiste pour tous les montants qui excèdent les plafonds couverts par le PPS ou pour les types d’indemnités non éligibles. Le PPS est un coussin, pas une exonération totale.

Quitter le CA : comment vous assurer que votre nom est bien retiré du registre (REQ) pour stopper le risque ?

Démissionner de son poste d’administrateur semble être une solution évidente pour mettre fin à sa responsabilité personnelle, surtout lorsque l’on sent que l’entreprise prend une mauvaise direction. Cependant, une simple démission verbale ou même une lettre envoyée à la société est souvent insuffisante pour vous protéger légalement. Pour que votre démission soit opposable aux tiers, notamment au fisc, elle doit suivre un processus formel et être officiellement enregistrée.

Tant que votre nom figure au registre public des entreprises (comme le Registraire des entreprises du Québec – REQ – ou les registres de Corporations Canada), vous êtes présumé être un administrateur en fonction. Les créanciers se fieront à cette information publique pour établir votre responsabilité. Il est donc de votre ressort, et non de celui de la société, de vous assurer que le changement a été correctement et rapidement effectué. Une hygiène procédurale stricte est votre meilleure défense.

Voici les étapes concrètes et non négociables pour une démission en bonne et due forme :

  1. Rédiger et remettre une démission écrite : Votre démission doit être un document écrit, daté et signé, remis en main propre ou par courrier recommandé au siège social de la société. Conservez une preuve de réception.
  2. Exiger la preuve de la mise à jour : La société a l’obligation de déposer une déclaration de mise à jour auprès du registre compétent dans les plus brefs délais (généralement 15 ou 30 jours). Exigez une copie du formulaire déposé (ex: « Déclaration de mise à jour » au REQ, « Formulaire 4004 » à Corporations Canada).
  3. Vérifier vous-même le registre : Ne vous fiez pas uniquement à la parole des autres administrateurs. Environ 30 jours après votre démission, consultez vous-même le registre en ligne pour confirmer que votre nom a bien été retiré de la liste des administrateurs. Si ce n’est pas le cas, vous devez relancer la société, voire consulter un avocat pour forcer la mise à jour.

Comme le rappellent les experts fiscaux, le respect de ce formalisme est la clé pour bénéficier des délais de prescription.

Une personne peut démontrer qu’elle a cessé, depuis plus de deux ans, d’être un administrateur de la société, il pourrait avoir prescription. Cependant, une telle démission doit être effective au REQ et consignée aux livres de la compagnie.

– Lemieux Nolet, Guide sur la responsabilité fiscale des administrateurs

Cette citation est claire : la prescription de deux ans qui peut vous libérer de certaines dettes (notamment fiscales) ne commence à courir qu’à partir de la date de votre démission *effective et enregistrée*, et non de la date de votre décision de partir.

Dettes fiscales et CSST : le risque qui peut couler votre acquisition après la signature

L’acquisition d’une entreprise est un moment excitant, mais elle peut rapidement tourner au cauchemar si une diligence raisonnable inadéquate laisse passer des passifs cachés. Parmi les plus dangereux se trouvent les dettes statutaires impayées (DAS, TPS/TVH, cotisations à la CNESST au Québec). En achetant une société, surtout par le biais d’une vente d’actions, vous héritez de tout son historique, le bon comme le mauvais. Les nouveaux administrateurs deviennent alors immédiatement responsables de dettes qu’ils n’ont pas créées.

La distinction entre une vente d’actions et une vente d’actifs est ici fondamentale. Dans une vente d’actifs, vous ne rachetez que certains éléments (équipements, listes de clients, etc.) et le passif fiscal reste généralement avec la société vendeuse. Dans une vente d’actions, vous achetez l’entité légale dans son intégralité, avec toutes ses dettes, connues ou non. C’est cette dernière qui présente le plus grand risque pour les administrateurs entrants.

Vente d’actions vs vente d’actifs : impact sur les dettes
Type de transaction Transfert du passif fiscal Responsabilité des nouveaux administrateurs Protection possible
Vente d’actions 100% du passif historique transféré Totale pour toutes dettes existantes Clauses d’indemnisation seulement
Vente d’actifs Passif reste avec le vendeur Limitée mais attention à la continuité d’employeur Sélection des actifs acquis

Avant de signer toute offre d’achat, une vérification diligente exhaustive n’est pas une option, c’est une nécessité absolue pour protéger votre patrimoine. Les clauses de représentation et de garantie dans le contrat d’achat sont utiles, mais elles ne vous protègent pas contre l’ARC ou Revenu Québec. Elles vous donnent simplement un droit de recours contre le vendeur, ce qui peut s’avérer inutile si ce dernier est insolvable. La seule vraie protection est la prévention.

Votre plan d’action de diligence pré-acquisition

  1. Exiger les certificats de décharge : Demandez au vendeur de fournir les certificats de l’ARC et de Revenu Québec confirmant que toutes les taxes et impôts ont été payés.
  2. Vérifier la conformité CNESST/WCB : Obtenez une attestation de conformité de l’organisme provincial de santé et sécurité au travail (ex: CNESST au Québec) pour vous assurer que toutes les cotisations sont à jour.
  3. Auditer les dettes salariales : Ne vous fiez pas aux déclarations ; vérifiez le registre de paie et demandez une confirmation que tous les salaires, vacances et commissions ont été réglés.
  4. Analyser les états de compte fiscaux : Demandez à voir les états de compte TPS/TVH et TVQ pour les 24 derniers mois afin de repérer toute irrégularité ou retard de paiement.
  5. Négocier des clauses spécifiques : Insistez pour inclure dans le contrat d’achat des clauses de représentation et de garantie qui ciblent spécifiquement l’absence de dettes fiscales et salariales, avec une clause d’indemnisation solide en votre faveur.

Succursale ou filiale canadienne : laquelle protège mieux votre maison-mère ?

Pour une entreprise étrangère souhaitant s’implanter au Canada, le choix de la structure juridique est une décision stratégique fondamentale qui a des implications directes sur la responsabilité de la maison-mère et de ses administrateurs. Les deux options principales sont la création d’une succursale (branch) ou la constitution d’une filiale (subsidiary). À première vue, la différence peut sembler administrative, mais en matière de protection d’actifs, elle est colossale.

Une succursale n’a pas de personnalité juridique propre ; elle est simplement une extension de la société mère. Par conséquent, il n’y a aucun voile corporatif. Toutes les dettes et obligations contractées par la succursale au Canada remontent directement et sans aucune limite à la maison-mère. Les administrateurs de la société mère sont donc directement exposés aux risques canadiens, comme s’ils opéraient eux-mêmes sur le territoire.

À l’inverse, une filiale est une nouvelle société par actions de droit canadien, distincte de sa maison-mère. Elle crée un véritable bouclier de responsabilité. En principe, si la filiale canadienne fait faillite, ses dettes s’arrêtent à son niveau et n’atteignent pas la société mère étrangère. Cependant, ce bouclier a un prix : le risque est transféré. La filiale doit avoir son propre conseil d’administration, dont une partie doit respecter les exigences de résidence canadienne (par exemple, 25% d’administrateurs résidents canadiens en vertu de la LCSA). Ce sont ces administrateurs locaux qui assumeront alors la pleine responsabilité personnelle pour les dettes statutaires de la filiale.

Succursale vs Filiale au Canada : Protection et responsabilité
Critère Succursale (Branch) Filiale (Subsidiary)
Personnalité juridique Non (extension de la maison-mère) Oui (entité distincte)
Bouclier de responsabilité Aucun – dettes remontent à la mère Solide – responsabilité limitée
Responsabilité des administrateurs Administrateurs de la mère exposés Administrateurs locaux de la filiale exposés
Exigences de résidence (LCSA) Non applicable 25% d’administrateurs résidents canadiens
Dettes fiscales (DAS/TPS) Responsabilité directe de la mère Responsabilité des administrateurs locaux

Une filiale protège la maison-mère, mais elle le fait en créant une nouvelle entité légale canadienne qui doit respecter les exigences de résidence pour les administrateurs, transférant ainsi le risque personnel sur les épaules de ces individus nommés au Canada.

– Cabinet Osler, Guide sur les responsabilités des administrateurs au Québec

En somme, le choix n’est pas entre « risque » et « pas de risque », mais plutôt sur « qui porte le risque ». La succursale expose la société mère, tandis que la filiale protège la mère mais expose personnellement ses administrateurs canadiens.

À retenir

  • La responsabilité limitée de l’incorporation comporte des exceptions majeures, en particulier pour les dettes statutaires comme les retenues à la source (DAS) et la TPS/TVH, qui peuvent mener à une saisie de vos biens personnels.
  • Les risques s’étendent bien au-delà du fiscal : les salaires impayés et les dommages environnementaux sont d’autres domaines où le voile corporatif est systématiquement percé, engageant votre responsabilité directe.
  • La véritable protection ne vient ni d’une confiance aveugle dans le voile corporatif, ni d’une assurance miracle, mais d’une « hygiène procédurale » stricte : vérifications constantes, documentation des décisions et enregistrements officiels (ex: démission au REQ).

Audit de l’ARC : les 5 signaux d’alerte dans vos livres qui déclenchent une vérification

L’Agence du revenu du Canada ne choisit pas ses cibles au hasard. Des algorithmes et des analystes scrutent les déclarations des entreprises à la recherche d’anomalies et de signaux d’alerte qui pourraient indiquer des difficultés financières et, par conséquent, un risque accru de non-remise des taxes et impôts. En tant qu’administrateur, connaître ces signaux vous permet d’agir en amont et de démontrer votre diligence, plutôt que de subir une vérification surprise. La surveillance de ces indicateurs n’est pas de la micro-gestion ; c’est un élément central de votre devoir de vigilance.

Le moment où votre responsabilité personnelle est la plus susceptible d’être engagée est lorsque l’entreprise entre dans une zone de turbulence financière. Ignorer ces signes est une faute. Vous devez être capable de prouver que vous avez identifié les problèmes et pris des mesures pour tenter de les corriger. Voici cinq signaux d’alerte que vous devriez surveiller mensuellement dans les rapports financiers de votre entreprise :

  • Balance de TPS/TVH à payer croissante : Si le montant dû au gouvernement augmente de mois en mois sans qu’une remise correspondante ne soit effectuée, c’est un drapeau rouge majeur.
  • Paiements de DAS erratiques : Des paiements en retard de plus de 15 jours, ou des paiements partiels, indiquent un problème de flux de trésorerie qui attire immédiatement l’attention de l’ARC.
  • Fonds de roulement négatif chronique : Si l’entreprise ne peut plus couvrir ses dettes à court terme avec ses actifs à court terme depuis plus de trois mois, elle est en situation de précarité financière évidente.
  • Écarts non expliqués : Des différences significatives entre les montants de taxes déclarés sur les formulaires et les montants réellement remis au gouvernement déclenchent une enquête quasi automatique.
  • Modifications fréquentes des états financiers : Modifier à répétition des états financiers déjà présentés peut être interprété comme une tentative de masquer la réalité financière de l’entreprise.

La jurisprudence est très claire sur le moment où le devoir de l’administrateur devient critique, comme le souligne un jugement de la Cour d’appel du Québec.

L’examen de la conduite objective de l’administrateur commence lorsqu’il lui devient évident, agissant raisonnablement, avec le soin, la diligence et la compétence requise, que la société entame une période de difficultés financières.

– Cour d’appel du Québec, Jurisprudence sur la responsabilité des administrateurs

En somme, dès que ces signaux apparaissent, l’horloge de votre responsabilité personnelle commence à tourner. Documenter les discussions du conseil d’administration et les mesures prises pour remédier à la situation devient alors votre meilleure ligne de défense.

Ne laissez pas ces risques complexes et ces exceptions légales planer comme une menace sur votre sécurité financière et celle de votre famille. La tranquillité d’esprit ne vient pas de l’ignorance, mais de la connaissance et de l’action préventive. Pour obtenir une évaluation confidentielle de votre exposition personnelle en tant qu’administrateur et pour établir une stratégie de protection d’actifs robuste et sur mesure, l’étape suivante consiste à consulter un avocat spécialisé en droit corporatif et en insolvabilité.

Rédigé par Frédéric Bouchard, Avocat spécialisé en droit des affaires et conformité réglementaire au Québec et en Ontario. Membre du Barreau depuis 15 ans, il accompagne les PME dans la navigation des complexités législatives canadiennes, incluant la Loi 96 et la Loi 25.